Mais pourquoi aller en Amérique en cargo?? Pourquoi faire en 12 jours un trajet qui peut être fait en 8 heures?? 


Pas pour gagner de l'argent en tout cas, le voyage coûte plus cher qu'un aller-retour en avion... Et le temps où il était possible d'embarquer en se pointant sur le port et en s'engageant pour travailler sur le bateau est bel et bien révolu. 


Non, j'ai fait ce choix pour percevoir plus concrètement ce que signifie le fait de traverser un océan. Ce monde, inconnu pour moi, m'attirait et m'attire encore davantage aujourd'hui! 

Je souhaitais vivre cette sensation au moment de prendre le large, le vent, les vagues, les embruns, la terre qui s'éloigne toujours plus et puis... l'immensité, le vertige en pensant à la profondeur sous nos pieds. Et je n'ai pas été déçu! 

Entre les couchers et levers de soleil, les baleines, les dauphins, les arrivées et départs dans les ports toujours en effervescence, chaque jour comptait son lot de spectacles de toute beauté! Et la nuit aussi: pour ne pas perturber la vision nocturne du timonier, l'obscurité est quasi totale sur le bateau. Ainsi, je n'avais encore rarement pu observer un si beau ciel étoilé...


C'était aussi une expérience riche en rencontres. Avec les deux autres passagers pour commencer.

Patricia, ayant grandi à Genève et au Tessin et vivant actuellement à Zoug avec son mari, est une artiste qui a remporté un concours organisé par la Suisse centrale lui permettant d'aller vivre quatre mois dans un atelier d'art à New York. Ex-enseigante parlant déjà trois langues parfaitement, elle suit maintenant des cours d'anglais et de graphisme informatique dans la Grande Pomme en plus de travailler à ses œuvres ; à 65 ans et rayonnante de jeunesse! 

François, la cinquantaine fringante, vivant depuis toujours près des côtes atlantiques françaises (dans la région de La Rochelle), chérissait depuis longtemps le rêve de traverser cet océan en bateau. Et c'est maintenant chose faite! 

Je crois pouvoir dire que nos nombreuses discussions et tous ces moments partagés sur le pont à s'émerveiller devant l'océan nous ont tous les trois bien rapprochés! J'espère que l'on restera en contact! 


L'équipage, 24 personnes au total, était composé principalement de marins chinois, philippins et roumains. L'anglais était la langue partagée par tous.

J'ai par exemple bien sympathisé avec Haichao, apprenti timonier, et Juechen, le troisième officier, tous deux chinois. C'était passionnant de pouvoir échanger avec eux, ils m'ont appris beaucoup de choses sur le métier de "seafarer", tout comme George, le second officier, un Roumain du delta du Danube parlant bien le français. 


Durant ces nombreuses journées en mer, rythmées par les trois repas (toujours savoureux soit dit en passant), je m'occupais en lisant beaucoup, en écoutant de la musique, en travaillant un peu mon anglais avec une méthode de perfectionnement, en profitant de la salle de sport pour faire un peu de condition physique ou encore en passant de bons moments sur le pont à observer la mer, tout en discutant avec François et Patricia ou les timoniers.

Les huit jours de traversée de l'Atlantique, hors du temps (seules les heures de repas comptaient...!) et hors du monde connecté et souvent surmené en activités diverses, offrent la place à la contemplation, la réflexion, l'introspection. Des moments essentiels qu'il est parfois plus difficile de prendre sur terre.


Cette traversée fut aussi pour Patricia, François et moi, la confrontation directe avec le monde du "shipping", le cœur de la mondialisation. Les premières grandes civilisations marchandes étaient basées sur le transport maritime et c'est toujours le cas aujourd'hui, plus que jamais.

Démesure, c'est le premier mot qui me vient. Des ports gigantesques, interdits au public, accueillant d'innombrables et monstrueux cargos, chargeant et déchargeant une infinité de conteneurs, empilés tels des Lego géants à perte de vue. Ils sont chargés ensuite sur un nombre affolant de camions partant sillonner les routes. Plus de 90 % des marchandises que l'on trouve dans nos commerces ont transité ainsi. Meubles, électronique, aliments, vêtements, VTT (hum...!) chaussures, produits chimiques, etc... Presque tout ce que l'on achète venant d'autres continents voyage ainsi.

Le nombre de cargos voguant de port en port sur toutes les mers du globe est inimaginable. Néanmoins, une fois en pleine mer, les dimensions sont telles que l'on se retrouve vite seul... 

Cela vaut tout de même la peine d'aller faire un tour sur www.marinetraffic.com pour avoir une idée de cette profusion de bateaux. 

Le problème est que chacun de ces cargos et autres gros transporteurs pollue énormément. Par souci d'économie, les moteurs des cargos tournent au fuel lourd, le plus grossier des carburants, le dernier truc qui reste dans les raffineries après transformation du pétrole. Dégageant une grave quantité de soufre lors de la combustion, ce carburant est terriblement néfaste pour l'environnement et la santé. 

Certains pays, en France notamment, commencent à imposer un carburant un peu moins pire mais cela reste très insuffisant. De plus, certaines compagnies maritimes pratiquent encore le dégazage en pleine mer, polluant ainsi affreusement l'eau en plus de l'air... 

Heureusement, par rapport à ça, je me trouvais sur un navire d'une compagnie maritime très stricte au niveau de la protection des mers.

Étant donné que chaque compagnie maritime fonctionne telle une bonne vraie multinationale cherchant à rationaliser ses frais pour être toujours plus compétitive, le salaire du personnel varie selon la nationalité de la personne... Pour un même travail fourni, un Philippin sera moins bien payé qu'un Chinois qui sera moins bien payé qu'un Européen... Juechen me l'a confirmé. 


Pour en savoir plus sur ce monde du shipping, vous trouverez ici une infographie très parlante:

http://info.arte.tv/fr/le-commerce-maritime-mondial-infographies


Je vous mets également le lien d'un reportage très impressionnant ("Qui contrôle la mer?"):

https://www.youtube.com/watch?v=f4Hxd9F9Wko&feature=share 


Pour conclure, j'ai été marqué par ce contraste entre un monde industriel dur, polluant, bruyant et la beauté de l'océan, sa fragilité, ses couleurs, l'émotion en observant la grâce des dauphins et des baleines. L'envie de prendre un jour la mer sur un voilier pour être au plus proche de l'océan me titille encore davantage!